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JO de Paris 2024 : où en sont les inégalités entre les tenues vestimentaires des femmes et des hommes ?

Elles ont joué en short plutôt qu’en bikini, et c’est une petite révolution. « On a envie que dans le beach-volley, les femmes aient le choix », expliquent les Françaises Alexia Richard et Lézana Placette, après avoir gagné leur premier match aux Jeux olympiques (JO) de Paris, le lundi 29 juillet. Pour la première fois, les JO se veulent parfaitement paritaires, avec autant d’hommes que de femmes parmi 10 500 places qualificatives (même si dans le détail, des exceptions subsistent), et le Comité international olympique (CIO) a donné comme directives aux médias de proposer une « représentation égalitaire des genres » depuis 2018 (« Pensez attrait sportif plutôt que sex-appeal », écrit-il dans un communiqué).
Pourtant, de fortes disparités perdurent entre hommes et femmes, en particulier au niveau des tenues. Loin d’être libres, les choix vestimentaires des sportives sont en effet limités par des contraintes de plusieurs ordres : les règlements des fédérations internationales, les propositions des équipementiers de chaque délégation nationale, l’influence des sponsors ou les normes sociales qui orientent les choix des athlètes.
L’étude des règlements et usages dans une dizaine de sports emblématiques présents aux JO de Paris montre que certaines disciplines ont beaucoup évolué, alors que d’autres restent confrontées à des inégalités entre hommes et femmes.
Le justaucorps règne sur la gymnastique féminine, malgré les réserves de plusieurs championnes de la discipline. Aux JO de Tokyo (2021), les gymnastes allemandes avaient opté pour l’unitard, une combinaison longue autorisée par le règlement mais peu répandue. « Nous voulions montrer que chaque femme, chaque personne, devrait pouvoir décider ce qu’elle veut porter », expliquait alors la gymnaste Elisabeth Seitz.
Si la superstar américaine Simone Biles avait alors soutenu cette démarche, les tenues de gym ont peu évolué depuis. Elles sont encore considérées comme des pièces de « haute couture » : le New York Times s’est réjoui début juillet que les gymnastes américaines aient déjà « battu un record olympique », avec les 10 000 cristaux insérés sur chaque justaucorps de Paris 2024. « Les sports à dimension artistique, sur laquelle se fonde une partie de la notation, se distinguent par une volonté ancienne de différencier le corps des femmes et d’entretenir un idéal de féminité traditionnelle », explique l’historienne Sandrine Jamain-Samson, autrice d’une thèse sur l’histoire culturelle du vêtement sportif (2008).
Ces contraintes peuvent pourtant perturber la performance des gymnastes. Beaucoup maintiennent leur justaucorps avec de la colle forte pour « essayer de porter moins d’attention à leur pubis pendant la compétition », relate Mme Jamain-Samson. Un souci accentué pendant la période menstruelle : « On a peur d’avoir une tache, ou pire que la ficelle du tampon dépasse du justaucorps », a ainsi détaillé la Française Coline Devillard au Huffington Post, racontant que les gymnastes s’arrangent collectivement pour éviter les tenues claires lorsque l’une d’entre elles a ses règles. Une pratique que l’on retrouve dans plusieurs sports d’équipe, comme le football ou le handball.
Les disparités femmes-hommes restent criantes dans le handball de plage. En 2021, les Norvégiennes avaient reçu une amende pour avoir joué en short et non en bikini, alors que le règlement les obligeait à porter « ​​des bas de bikini (…) ajustés et échancrés », avec un haut de « style brassière courte ».
Si les règles de la fédération ont évolué depuis, elles imposent toujours aux joueuses un « débardeur ajusté » et des « shorts serrés et bien ajustés », quand leurs homologues masculins portent un maillot sans manches et un short. « Les tenues (…) contribuent à aider les athlètes à améliorer leurs performances, ainsi qu’à rester cohérents par rapport à l’image sportive et attractive du sport », se justifie la fédération.
Béatrice Barbusse, sociologue du sport à l’université Paris-Est-Créteil, dénonce cette corrélation douteuse entre l’attractivité d’un sport féminin et « l’image sexy » des joueuses. Un biais aussi ancien que leur arrivée dans les compétitions de haut niveau, dans les années 1920. « Les sportives sont prises dans une injonction à performer sans ne rien renier de leur féminité, car pèse sur elles la crainte de la masculinisation de leurs corps », analyse l’historienne Florys Castan-Vicente, maîtresse de conférences à l’université de Paris-Saclay.
Si aucune règle n’est formellement imposée par la fédération, les sprinteuses sont abonnées à l’ensemble brassière-culotte. A l’impératif d’évacuer la transpiration en cas de chaleur se mêlent de puissantes normes de genre. « Embrasser cette tenue iconique permet de s’apparenter au groupe », analyse la designeuse Lucie Gigan, qui finalise un master de recherche en design sur le vêtement sportif à l’ENS Paris-Saclay. « Elles jouent le jeu, résume Sandy Montañola, spécialiste de la médiatisation des sportives à l’université de Rennes-I. La sanction médiatique ou le manque de sponsors arrivent vite si elles ne se négocient pas avec les normes de féminité. »
Les réseaux sociaux ouvrent toutefois des espaces de contestation. L’ancienne sprinteuse américaine Lauren Fleshman a ainsi critiqué sur Instagram l’échancrure des slips dévoilés en avril par l’équipementier officiel des athlètes olympiques américains. Mais l’une des ruptures les plus emblématiques reste celle de l’athlète australienne aborigène Cathy Freeman, qui a remporté le 400 mètres à Sydney, en 2000, dans une combinaison intégrale, capuche comprise, qu’elle a décrit plus tard comme un cocon améliorant sa concentration.
La fédération internationale n’impose aucune tenue et ne fait pas de distinction entre femmes et hommes, mais la jupette reste la norme pour les joueuses.
Au début des années 2000, la championne française Amélie Mauresmo a été vivement critiquée pour avoir osé fouler les courts de Roland-Garros en short. Près de vingt ans plus tard, en 2018, l’Américaine Serena Williams choquait en optant pour une combinaison intégrale noire, au point que la tenue a été interdite par le tournoi. « Je crois qu’on est parfois allé trop loin, déclarait alors Bernard Giudicelli, président de la Fédération française de tennis, à Tennis Magazine. La combinaison de Serena cette année, par exemple, ça ne sera plus accepté. Il faut respecter le jeu et l’endroit. »
Une polémique qui rappelle celle des années 1920 autour des costumes jugés impudiques de Suzanne Lenglen, qui jouait en jupe courte et légère pour libérer son mouvement. « La transgression des normes de genre a un coût pour les championnes qui s’y risquent : rappels à la norme par des remarques ou des insultes, mise à l’écart, perte de sponsors, voire exclusion », rappelle l’historienne Florys Castan-Vicente, citant le cas de Violette Morris, pionnière du pantalon, empêchée de participer aux JO de 1928.
Né sur les plages californiennes dans les années 1920, le beach-volley a mis du temps à se débarrasser d’un certain nombre de stéréotypes de genre. Depuis 2012 seulement, le bikini n’est plus obligatoire et il est possible de porter un legging ou un bermuda assorti d’un tee-shirt à manches courtes ou longues. Le règlement détaille aussi, schémas à l’appui, tous les équipements additionnels pouvant être adoptés par les sportives en raison de « croyances culturelles ou religieuses ». Les épreuves de beach-volley de Paris 2024, entamées le 29 juillet, confirment l’appropriation progressive par les joueuses de ces nouvelles tenues.
La fédération internationale de natation liste chaque année les équipements autorisés en compétition. En 2010, elle a interdit les combinaisons intégrales en polyuréthane qui avaient permis de battre nombre de records. Plus récemment, en 2022, elle a aussi autorisé des équipements revendiqués par certaines athtèltes, comme le bonnet de natation adapté aux cheveux noirs naturels. Une « avancée sans précédent pour le sport, le choix, l’inclusion et l’acceptation », s’est réjouie la nageuse britannique Alice Dearing, qui n’avait pas pu porter un tel bonnet aux JO de Tokyo (2021). « Les costumes sportifs ont été pensés, dans un premier temps, par des hommes et pour des hommes, observe Sandrine Jamain-Samson. Puis les femmes ont montré qu’elles pouvaient gagner des médailles et elles ont obtenu un vestiaire, mais on n’a pensé qu’à une population blanche. »
Jusque dans l’entre-deux-guerres, les femmes enfilaient la même combinaison que les hommes aux larges bretelles. Mais « l’indifférenciation vestimentaire a suscité une angoisse : était-ce un homme ou une femme qui nageait ? », retrace l’experte. Le port d’une jupette de 8 centimètres au minimum s’est donc imposé dans les années 1930. Une taille réglementaire abandonnée dans les années 1950, au profit d’une plus ambiguë « règle de décence » encore en cours. Les hommes n’ont, quant à eux, pas le droit de porter un bas qui les couvre au-dessus du nombril afin d’éviter le retour à des combinaisons.
Sans faire de distinction de genre, la fédération de handball impose à ses joueurs et joueuses de porter « une tenue uniforme ». Mais l’égalité s’obtient au prix d’une mobilisation intense, selon la sociologue du sport Béatrice Barbusse. Vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball, elle raconte avoir déjà reçu d’un sponsor des vestes, chemises et pantalons qui étaient « des reliquats de petite taille d’une équipe masculine d’un autre sport collectif, qui ne correspondent pas à la singularité des morphologies féminines ». « Si on ne monte pas au créneau, on n’existe pas », regrette-t-elle.
« Les équipements de sports collectifs ont tendance à être conçus au masculin par défaut, abonde la designeuse Lucie Gigan. Ce qui peut provoquer des sensations de gêne ayant un impact sur la qualité de jeu. »
La seule spécificité dans le judo est l’obligation pour les femmes de porter un tee-shirt blanc sous le kimono. Mais elle ne fait pas débat. « C’est vu comme la marque d’une certaine pudeur, dans un sens positif, afin de protéger les femmes, analyse Sandrine Jamain-Samson. Le kimono neutralise toute forme de sexualisation des corps. Ce qui intéresse ici, c’est de voir l’autre chuter. »
Cela n’empêche pas la discipline d’être traversée par les questions de genre, telle que la difficulté à assumer un kimono blanc pour des athlètes ayant leurs règles. Les kimonos bleus, qui ont fait leur entrée au Tournoi de Paris en 1997 afin de mieux distinguer les adversaires, en suscitant les réserves des traditionalistes, apparaissent ainsi comme une avancée pour les femmes.
Mise à jour du 7 août : précisions sur les annonces concernant la parité aux Jeux olympiques dans l’introduction.
Iris Derœux, Mathilde Lafargue, Raphaëlle Aubert (développement), Audrey Delaporte (iconographie) et Camille Simon (iconographie)
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